24 octobre: DIG (Creuser)
Un week-end ordinaire, pour une famille ordinaire. Fin de l’été en Normandie, encore quelques beaux jours avant l’automne. La plage est vide en ce début de période scolaire, il faut en profiter. La mère lit allongée sur sa serviette, le père est parti se baigner, et le fiston fait un château de sable, se préparant à le défendre à la marée montante.
Il creuse un peu plus profond, il faut ça pour augmenter les remparts de son édifice. La pelle en métal sonne un coup sourd.
Encore un caillou pense-t-il. Je vais creuser un peu autours pour le déterrer, ça fera un mur encore plus solide avec une pierre dedans. Avec ça, la mer n’a qu’à bien se tenir, mon château résistera.
C’est un gros caillou, qui prend du temps à se contourner pour l’arracher du sable. Au bout d’un moment, le garçon n’en peut plus. Il appelle à l’aide son papa, qui ressort à peine de l’eau. Il a besoin de lui pour l’enlever, sinon sa stratégie de défense ne pourra pas fonctionner.
Le père, sûr de lui, donne un grand coup de pelle à l’extrémité de ce que son fils a déjà mis à jour. La pelle se casse en deux, l’anse lui reste dans les mains. Il ouvre alors de grands yeux, attrape son fils au vol, et se dirige en courant vers sa femme, qui n’a encore rien suivi de cette histoire.
– « Il faut qu’on évacue, et qu’on appelle la gendarmerie. Je crois qu’il y a une bombe qui est restée enterrée dans le sable… »
Affolée, la petite famille revient sur la digue, et téléphone aux autorités de la ville. Leur inquiétude est légitime, après tout, nous sommes en Normandie. Les alliés n’ont pas débarqué sur cette plage spécifique, mais ça ne l’a pas pour autant empêchée d’être bombardée.
Les démineurs arrivent. S’ensuit une opération précautionneuse de repérage tout d’abord. Opération grâce à laquelle on peut conclure que ce n’est pas une bombe. Il semblerait que ce soit une structure faite en béton. Peut-être un ancien bunker. Il n’a pourtant pas déjà été recensé. D’ailleurs, aucun bunker n’a été recensé sur cette plage-ci. Aucun, et ça sur des kilomètres.
Le site est alors déblayé, avec toutes les précautions possibles. Il s’avère qu’il s’agit d’une entrée vers quelque édifice souterrain. Une porte barre l’accès du lieu, mais n’est pas fermée à clef. Une équipe militaire est dépêchée pour l’exploration. C’est en réalité l’entrée d’un souterrain. Armés de leurs lampes torches, les soldats pénètrent à l’intérieur, et en parcourent une bonne partie avant de remonter. C’est une construction nazie. Des drapeaux dans tous les couloirs en attestent. Ils ont mis au jour plusieurs salles souterraines, dont des chambres et des bureaux.
On fait alors appel à des archéologues, pour venir découvrir les lieux. Ce n’est définitivement pas un bunker ordinaire. Il s’agit plutôt d’un bâtiment complet dans lequel pouvait vivre une garnison, avec des chambres, des salles d’eaux, une alimentation électrique autonome, une cuisine et de multiples entrepôts d’armes. Après plusieurs semaines d’exploration par ces historiens, un compte-rendu peut être fourni quant à la fonction de ces lieux.
L’armée allemande n’avait pas miné cette plage, elle préparait une zone spéciale pour installer ses troupes en profondeur, et prendre l’envahisseur à revers. Les souterrains allaient de la côte jusqu’à plusieurs kilomètres dans les terres. Ils comptaient surprendre les Alliés qui débarquaient en les prenant en tenaille, à la fois de face dans les terres, et à revers sur la côte. Problème, ils étaient allés trop vite en besogne. Le débarquement n’avait pas eu lieu sur cette plage, et les troupes réquisitionnées pour cette opération, inutiles en sous-sol, avaient dû se diriger sur les fronts plus au Sud. Le mauvais renseignement obtenu par l’Allemagne concernant le lieu probable de l’arrivée américaine avait permis de reprendre la France aux mains ennemies. Le grand souterrain avait été abandonné, puis oublié. Personne n’en avait plus entendu parler jusqu’à ce que ce petit garçon le mette au jour.
L’histoire nous réserve encore bien des surprises.
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