22 octobre: CHEF (Chef cuisinier)
« La Croquemitone » était un restaurant qui ne payait pas de mine. En plein cœur de la ville, elle avait modelé sa carte pour accueillir une majorité de personnes, du petit au moyen budget. Hector en était le cuisinier. Dans l’absolu, il aimait son métier de chef-cuistot. Dans ce restaurant pourtant, il avait l’impression d’une routine un peu pesante, ce à quoi s’ajoutait l’attitude des clients. Accès en temps normal sur une clientèle de classe moyenne voire peu aisée, depuis quelque temps, il avait vu débarquer des gens un peu plus fortunés. Les tarifs étant plus qu’abordables, certains y avaient vu une aubaine incroyable, quand on considère la qualité de la cuisine. En effet, Hector soignait ses plats, avec la volonté de faire plaisir à ses clients, quelle que soit l’épaisseur de leur porte-monnaie.
Ce phénomène de changement de clientèle était à tel point important que certains soirs ils étaient obligés de refuser des habitués, car un trop grand nombre de réservations avait été réalisées. Réflexe de réservation que n’avaient pas les peu fortunés.
Un de ces soirs un peu surchargé par l’excès de commandes spéciales, toute l’équipe suivait pourtant la cadence infernale, et répondait favorablement aux exigences de clients désagréables.
Vers la fin du coup de feu – le moment le plus intense de la soirée pour le restaurant -, un des serveurs, Didier, revint en cuisine en larmes. Hector, affolé, lui demanda ce qui avait bien pu le mettre dans cet état. Didier lui expliqua. Après un service exemplaire toute la soirée, exténué, il avait fait l’erreur de faire goûter le vin d’abord à Madame, plutôt qu’à Monsieur. L’homme s’était mis à le traiter d’incompétent, et l’avait renvoyé en cuisine.
Ni une ni deux, Hector, après avoir repéré la table de ce couple, s’y dirigea à grands pas. Devant tout le restaurant, il se mit à hurler contre le client, et le mit à la porte.
Cet acte sonna le glas de sa carrière de chef-cuisinier dans ce restaurant. Il se fit renvoyer le soir même, avec Didier, venu prendre sa défense. « Mauvais comportement avec la clientèle ». Hector n’était pas ravi de s’être fait remercier, mais était encore plus remonté contre le patron en ce qui concernait le serveur. Didier était le plus compétent qu’il connaisse, il ne méritait pas ça, encore moins dans un restaurant de moyenne gamme, rehaussé pour les bourgeois grâce à sa cuisine et la qualité du service.
Ils cherchèrent alors une place dans d’autres établissements, plus ou moins quottés. Durant la semaine qui suivit, ils firent le tour de la ville à vélo, dans l’optique de se faire embaucher. Mais la nouvelle de la raison du renvoi d’Hector était allée plus vite que lui, et personne n’acceptait de les prendre, même à l’essai. Ils désespérèrent. Ils envisagèrent même de se lancer dans un snack avec une petite roulotte, ou d’ouvrir leur propre affaire… Mais ils n’avaient que leurs vélos pour toute fortune, dans l’optique de financer de tels projets.
C’est ainsi que le déclic se fit pour Hector. Les vélos. Voilà le projet. Ils allaient monter un snack, mais uniquement pour les vélos. De la cuisine gastronomique pour cyclistes pressés.
Le concept était lancé. Ils allaient se placer dans plusieurs endroits de la ville fréquentés le matin par les cyclistes allant travailler. Les vélo-taffeurs. Un peu comme un passage au stand d’une course de Formule1. À la première étape, après règlement, le cycliste recevra une gourde, avec le jus du jour, à base d’une recette quotidiennement renouvelée par Hector, servie par Didier. Le but étant que le client n’ait pas à trimbaler avec lui sur son vélo son petit déjeuner. Une fois son jus terminé et son trajet avancé, il s’arrêtera au deuxième stand pour la boisson chaude et le ravitaillement suivant. Un système ingénieux permet alors au client d’accrocher son café ou autre, sur le guidon, sans avoir à se brûler. Direction le troisième stand et ainsi de suite, en fonction de la formule qu’il aura choisie. Stand jus, stand pain à la confiture, stand mini sandwich… À la fin du parcours, devant les locaux de son travail, une benne sera disposée pour réceptionner les contenants réutilisables de boissons. Ces derniers sont rendus en échange du bonbon à la menthe fait maison permettant l’haleine fraîche à l’arrivée au travail. Les gourdes et autres récipients étant numérotés en fonction du client, si ce dernier ne les a pas déposés dans la benne, il aura un avertissement. Et s’il réitère son « oubli », il n’aura plus accès aux stands cyclistes pendant les trente jours suivants.
Idem pour le soir, sauf que le ticket de caisse sera un ruban réfléchissant, et que le dernier stand, sera celui du petit chocolat.
C’est ainsi que « Vélo-snackeur pour vélo-taffeur » était né. Pour plus de renseignements, allez voir Hector. Vous le reconnaîtrez facilement, c’est le seul cycliste avec un casque en forme de toque de chef-cuistot.
0 commentaires