20 octobre: CORAL (Corail)
Ce reportage animalier sur la faune de la forêt amazonienne commençait très bien. Nous avions déjà des images de singes écureuils, de colibris et de dendrobates. Bien sûr, un des objectifs du voyage était de voir un des grands félins qui avaient pour territoire cette forêt pleine de surprise : le jaguar. Mais on se contenterait tout à fait pour cette première fois d’un jaguarondi, ou d’enregistrer les singes hurleurs au crépuscule. Si le reportage était acheté par une grande chaîne de télévision, nous reviendrions faire la suite, avec, qui sait, une harpie à la clef. Le Brésil n’était pas avare en belles découvertes animalières. Nous avions de la matière à foison. Parler de cette profusion, de ces grands animaux magnifiques, était un moyen de sensibiliser les gens à la préservation de la biodiversité. Car protéger cette beauté visible, c’est aussi protéger leur environnement. Et dans cet environnement, il y a toute la faune et la flore dont on n’entend jamais parler. Insectes, rongeurs et plantes, même s’ils n’ont pas la « beauté » subjective qui attire le public et le pousse à avoir envie de les respecter, ont un rôle indispensable dans l’équilibre de cette forêt. Et par conséquent, de notre planète.
Nous étions trois preneurs d’images – deux cameramen et moi à la photo -, un preneur de son, le naturaliste qui nous indiquait les choses à ne pas manquer pour le reportage, ainsi qu’un guide brésilien. La présence de ce dernier, au-delà de nous permettre de ne pas nous perdre, nous avait déjà évité un nid de mouches-feu, des sortes de guêpes très agressives, ainsi que quelques scorpions. La forêt peut être un vaste piège quand on ne la connaît pas bien.
Tout se passait sans accro, jusqu’à ce que le naturaliste se fasse mordre par un serpent. Le guide s’était précipité pour arracher la mâchoire du reptile au mollet du biologiste. Dans un geste vif, il lança l’animal au loin, pour s’assurer de ne pas se faire mordre à son tour. La victime commença à tourner de l’œil, et dans un souffle arriva malgré tout à nous dire de retrouver le serpent, pour une future reconnaissance. Nous étions tous inquiets pour sa vie, mais peu surpris de sa remarque. Même dans une situation pareille, sa passion pour la faune prenait le dessus.
Ce fut là que le preneur de son nous fit une réflexion inattendue. Et si le naturaliste nous avait dit ça plutôt pour savoir si le serpent était venimeux ou non ? Et si les secours avaient besoin d’avoir le serpent sous la main pour le sauver ?
Il fallait faire vite. En possession du téléphone satellite, je me mis à courir vers la zone découverte la plus proche pour avoir du réseau et appeler à l’aide. Tandis tous mes autres camarades se dépêchaient de retrouver le serpent que le guide avait lancé au loin.
Problème, la dernière zone par laquelle nous étions passés, et dont la densité faible de feuillage permettait de voir le ciel à travers, était fort loin dans mes souvenirs. Je parcourus une bonne centaine de mètres, ce qui n’était pas aisé à travers cette forêt dense, avant de m’en rendre compte et de revenir sur mes pas. Il serait probablement plus intelligent d’aller dans une autre direction, statistiquement parlant, mon esprit me disait que la zone de réseau la plus proche serait plutôt vers l’avant.
Je repassais donc près de mes camarades. Le biologiste était toujours étendu inconscient, mais notre guide brésilien avait semble-t-il réussi à attraper le serpent. Une bonne nouvelle, qui ne servirait à rien si je n’arrivais pas à appeler les secours. Je crus comprendre « serpent corail » en brésilien, mais je n’étais pas sûr.
Mon intuition avait été la bonne. Mon téléphone capta le réseau quelques mètres en amont de la position à laquelle nous étions arrêtés. L’hélicoptère de secours était prévenu, nous n’allions pas tarder à avoir de la visite. Je revins auprès de mes camarades.
C’était bien ça. Un serpent corail. Je n’y connaissais rien, mais le brésilien avait l’air sûr de lui. Un des serpents les plus venimeux du coin. On avait bien fait de le récupérer, il serait peut-être nécessaire de faire d’autres analyses avec le spécimen vivant, pour faire de l’anti-venin. Ne restait plus qu’à attendre. Notre guide avait enfermé la bête dans sa gourde vide.
La pluie commença à tomber. Une grosse averse, telle qu’on en connaît dans les zones tropicales. C’était différent encore en pleine forêt. On commençait par avoir l’impression d’être à l’abri, sous la cime des arbres. Puis on se rendait compte qu’une fois les feuilles gorgées d’eau, le parapluie naturel n’en était plus un. On se retrouvait encore plus trempé, tout dégoulinait. Et même quand la pluie cessait sur les arbres, ces derniers continuaient de s’essorer sur nous encore longtemps après.
Le naturaliste commençait à reprendre connaissance, à croire que l’eau qui lui dégoulinait sur le visage l’avait aidé à sortir de sa torpeur. Il chercha à se relever. On l’en empêcha. Il demanda à voir le serpent. Par crainte d’une seconde morsure, on lui refusa l’ouverture de la gourde. Les secours n’allaient pas tarder, mieux valait attendre. On entendait d’ailleurs les pales de l’hélicoptère prendre le relai du son de martellement de la pluie qui diminuait.
Nous étions évacués.
Le médecin du dispensaire dans lequel nous avions atterri nous félicita d’avoir conservé le serpent responsable de la morsure. Il allait pouvoir envoyer sa photo à des experts pour l’identifier. Lui-même n’en était pas capable. Notre naturaliste, qui paraissait avoir repris du poil de la bête, lui dit alors qu’il pouvait effectuer la reconnaissance lui-même. La surprise de la morsure, le stress et la chaleur du moment l’avaient fait s’évanouir, rendant impossible son concours, mais maintenant qu’il était éveillé, ça devrait se faire sans trop de difficultés. Le médecin proposa qu’on ouvre la gourde dans un grand carton, pour éviter que le serpent ne s’enfuie ou n’attaque à nouveau. On lui donna alors la gourde avec précautions, espérant qu’il puisse l’identifier et déterminer le traitement nécessaire.
Il éclata alors de rire. Nous étions tous déconcertés. Nous voyant ne pas partager sa joie, il s’expliqua. Il avait eu de la chance. C’était en fait un faux corail. Anilus scytale, une espèce de serpent communément appelée faux corail, car par mimétisme ressemblant au serpent corail. La morsure était sans danger. La chaleur, le stress ambiant, ainsi que la surprise avaient fait perdre à notre biologiste ses moyens. Pas le venin. Un soulagement. Son éclat de rire était contagieux. La pression redescendait d’un bloc, et le dispensaire résonnait maintenant de notre joie, remplaçant avec plaisir notre peur.
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