1er octobre: Fish (Poisson)
La porte de l’appartement s’ouvre sur Martin. Il a entendu la voiture d’Amandine se garer en bas de l’immeuble. Il commençait à s’inquiéter. 23 h, et toujours pas de nouvelle. L’horaire ressemblait assez à l’Amandine surchargée, mais d’habitude elle prenait tout de même le temps de le prévenir qu’elle allait rentrer tard. Martin fait contre mauvaise fortune bon cœur. Il sait que les journées de sa femme ne sont pas faciles ces derniers mois. Surtout avec la finalisation du projet qui a pris tant d’année à la boîte qu’a intégrée Amandine deux ans auparavant. Grâce à elle, ils seront enfin en mesure de proposer leur logiciel à la France entière, bien que les investisseurs leur permettant cette évolution soient plus qu’exigeants en termes de finition. Ce qui explique les retours tardifs à la maison, en semaine comme en week-end. Argumentation, marketing, promesse intenable à ces futurs financeurs, en tant que chef de projet, Amandine doit faire tous les sacrifices possibles et inimaginables pour que la start-up puisse devenir une entreprise nationale.
Elle embrasse Martin après avoir poussé un soupir de soulagement. Le regard mi-coupable, mi-exténué, la bouche qui peine à sourire à cause de la fatigue, elle est déjà toute pardonnée de ne pas avoir donné signe de vie.
Martin a fait du gratin dauphinois, il sait qu’elle aime ça en temps normal. Le repas, un moyen de passer un peu de temps avec elle, même s’il se doute qu’elle n’a qu’une envie, une douche avant de se glisser au lit. Mais ce soir elle refuse le repas, la faim n’arrive pas à percer la fatigue.
Il comprend, mais entend bien lui donner un petit déjeuner copieux le lendemain. Il est hors de question qu’après tous ces efforts, elle tombe d’inanition au travail.
Le réveil sonne, il est déjà 7 h. Amandine a rendez-vous à 8 h avec les mêmes personnes que la veille. La réunion n’est pas terminée a-t-elle indiqué à Martin avant de s’endormir.
Lui est déjà debout, le pain perdu est dans la poêle bien au chaud, il n’attend plus que madame pour être mangé. Elle tarde à descendre. La réunion de la veille a dû être plus exténuante que les précédentes. Ça, plus l’accumulation de fatigue, – Martin ne se souvient plus de la dernière fois où Amandine a pu faire une nuit complète – difficile de lui en vouloir de lutter au réveil. Il monte vérifier qu’elle a tout de même bien pris conscience de l’heure. Il sait à quel point son travail est important pour elle. Elle ne se pardonnerait pas d’arriver en retard.
Elle est assise au bord du lit, se tenant le ventre. Dans un soupire, elle arrive encore lui à dire que ce n’est pas grave, que ça va passer. Certainement une crampe de stress. Plus le temps avance, moins cela paraît un simple mal de ventre ordinaire. Ils prennent finalement la décision d’appeler le médecin. Mais à 7h30, il est encore trop tôt pour les consultations, et selon ses propres dire, son travail ne peut attendre. À contre-cœur Martin décide de la conduire, elle n’est pas en état de toute façon. Mais sur la route la douleur semble s’intensifier. Sans écouter les protestations de sa femme, il change de direction et se dirige vers le service d’urgence de l’hôpital le plus proche.
On les prend en charge rapidement, ce qui n’est pas pour déplaire à Amandine. S’ensuit alors une série de tests. L’interne de garde pense tout d’abord à l’appendicite, qu’elle n’a pas encore eu, et qui chez l’adulte peut mener à des complications assez douloureuses. Après échographie, cette hypothèse est invalidée. Amandine n’a pas mangé la veille, l’intoxication alimentaire est de facto éliminée. Gastroscopie pour vérifier un possible ulcère, possibilité de règles très douloureuses, batteries de tests après batteries de tests, l’interne décide de faire une biopsie de l’estomac, pour vérifier que le problème ne serait pas plus grave. Les résultats ne seront pas pour tout de suite.
Entre-temps, d’après le médecin qui a remplacé l’interne de garde, trois autres patients sont arrivés avec les mêmes symptômes qu’elle. En revanche ils ont mangé copieusement la veille au restaurant. L’intoxication alimentaire est très vite diagnostiquée dans leurs cas. Le poisson du restaurant « Fish ‘n mystery » dans lequel ils s’étaient tous les trois réunis n’était pas frais.
Cela fait presque deux heures qu’ils sont là, Martin décide d’aller se chercher un café, et de passer un coup de fil pour prévenir son travail qu’il risque d’être en retard. À son retour, Philippe, un collègue d’Amandine, Martin le connaît de vue, mais ne l’a jamais rencontré officiellement, s’approche de son lit. Eh bien, se dit Martin, c’est chouette d’avoir un collègue aussi sympathique pour venir au chevet d’une collaboratrice de si bon matin. Il ne savait même pas qu’Amandine avait réussi à prévenir son travail. Philippe n’a pas encore vu Martin, dans son dos, qui ramène le café chaud. C’est un vrai moulin à paroles, et Amandine, voyant Martin apparaître semble très ennuyée, presque effrayée. Philippe, pris dans son monologue, n’a rien perçu. Il annonce que les médecins ont trouvé ce qu’il avait, une anisakiase, un petit parasite qui lui a provoqué une réaction allergique. C’était le saumon, au restaurant. Il éclate de rire avant d’ajouter que la soirée et la partie de jambes en l’air mémorable qu’ils avaient vécu la veille au soir, valaient bien de se retrouver aux urgences et de partager cette intoxication. D’autant plus qu’ils étaient à nouveau réunis. Une fois sur pieds, ils pourraient peut-être remettre le couvert, s’il trouve une chambre ouverte et vide. Il éclate à nouveau de rire.
Martin en tombe le café des mains. Il ne contrôle plus ses gestes. Son poing atterri sur le nez de Philippe sans qu’il n’ait le souvenir d’en avoir donné l’ordre. Ensuite ce sont ses jambes qui rebroussent chemin, d’abord lentement, puis d’un pas plus vif, pour finir par courir.
Une chose est sûre, il ne reverra plus jamais Amandine. Les papiers du divorce seront remplis à distance, peut-être même par l’intermédiaire d’avocats interposés.
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